« Petit à petit l’oiseau fait son nid. » Le but de la vie, si tant est que la vie ait un but et Dieu sait que ce n’est pas sûr, est de se construire. On peut se demander : « Pourquoi se construire ? » D’abord parce qu’il n’y a rien d’autre qui justifie la vie, qui l’explique ou qui permette de vivre, que les implications et les effets de cette construction. La vie elle-même est source permanente et continue d’incertitude. Rien n’est acquis, rien n’est assuré. Les succès peuvent n’être pas mérités, les échecs peuvent être injustes. Les événements extérieurs au sens le plus large influent sur notre destin. La seule chose de sûre c’est mon regard dans mon miroir. Ce que je pense de moi. Cela, rien ne peut me le retirer. Peut-être… Mais à condition que je me sois construit, que je sache qui je suis, ce que je veux, ce que je vaux, ce que je pense de moi. Et pas à l’américaine : si je me dis : « Je vaux dix dollars ou dix millions de dollars », cela ne veut rien dire. Pensez à ceux qui ont conclu le contrat du siècle à la veille de la guerre, en 1914, en 1940 et qui sont partis au front, abandonnant tout… Pensez à Rasurel, fabricant de maillots de bain et de lingerie qui a signé un contrat d’affichage publicitaire sur les murs de France en 1940. Sa publicité qui devait rester un mois est restée quatre ans et ce fut sa fortune… À ce qu’on dit. Ce n’est pas cela qui est important. Ce n’est pas ce que je suis. Il faut donc que je me construise, que je me découvre, que je me connaisse, que je sois à la fois fier de moi et que j’aie honte de moi. Car j’ai, j’ai eu, j’aurai ces deux aspects et bien d’autres. Je ne serai pas toujours un ange ni un démon. Ni même à mi-chemin… Je suis ce que je suis, et je me suis fait lentement. Pas en un jour, pas en un mois, pas en un an. Lentement et ce n’est jamais fini. Kipling dit qu’on ne peut dire si une vie est réussie qu’après la mort…, qu’après que la vie est complète, terminée. Autrement, on fait ce qu’on peut, ce qu’on croit devoir. Mais attention, aucun choix – bon ou mauvais – qui va influer sur la vie, ne doit être source de culpabilité. On a toujours fait de son mieux. Même la connerie du siècle… Et tout donne à penser que si c’était à refaire, on referait la même chose tout en sachant les mêmes choses. Ah bien sûr, après coup, on est sage ! On éviterait l’erreur. Si je revivais ma vie sachant ce que je sais aujourd’hui, elle serait différente. Mais si je la revivais ne sachant pas autre chose que ce que je savais, elle serait identique… C’est pour cela que je réclame l’indulgence du jury, le bénéfice du doute, un joker comme dit un ami. J’imagine que, sur ma tombe, on pourrait écrire : « Il a vécu de son mieux » Et ce ne serait déjà pas mal. La méchanceté gratuite, celle du chat qui joue avec la souris qu’il va manger, n’existe pas. Ou alors elle est psychiatrique. Il est logique et normal que nous nous construisions lentement. Nous avons l’enfance et l’adolescence qui est une invention occidentale récente. Le dictionnaire dit : « L'adolescence (du latin adolescere : "grandir") est une phase du développement humain physique et mental qui survient généralement entre la puberté et l'âge adulte. » C’est une grâce qui nous est donnée dans notre culture pour retarder l’âge adulte et donner une chance de plus de se construire. Autrefois, elle n’existait pas et n’existe toujours pas dans de nombreuses cultures et de nombreux pays. Voir les enfants soldats. Mahbub Ali, maquignon célèbre, héro de Kipling, avait, à quatorze ans, tué et engendré son homme… Et cela n’avait – n’a – rien d’extraordinaire. Henri de la Tour d’Auvergne, vicomte de Turenne, né en septembre 1611, leva en janvier 1625, donc à quatorze ans, le régiment dont il était colonel, qui portait son nom… et qu’il mena à la victoire. On mourait plus tôt, on vivait plus vite peut-être… En tout cas la puberté rendait adulte. Il faut se construire et on se construit lentement. Tout au long de la vie. On ne progresse pas en un mouvement continu, mais par à-coups, par des sauts. C’est la lutte de l’escalier et de la rampe. Chaque marche est un obstacle franchi, la rampe nous soutient sans discontinuer, elle est tout le temps là et nous rattrape. Les pieds et la main… Les pieds ont leur vie propre ; si on devait regarder chaque marche avant de la franchir, on ne bougerait jamais. Les pieds ressentent, avancent, se placent d’eux-mêmes. Et le jour où ils ne le font plus, où il nous faut regarder, on traîne des pieds et on va voir un neurologue. Et la volonté ? Comme me le disait, il y a bien longtemps, mon boucher, le savoir se vole. Si on attend qu’on nous l’enseigne, on sera encore là au déluge. Il me racontait comment, apprenti, son patron lui montrait tout : préparation, découpe, etc. Mais ce patron ne lui montrait pas comment découper une carcasse. Et quand l'apprenti demandait ? Silence… Donc un jour, l'apprenti s’est caché et a observé son patron en train de découper une carcasse. Dès que celui-ci a été sorti, il a découpé une carcasse à son tour. Avec des hésitations, des erreurs, mais il l’a fait. Et à son retour, le patron lui a dit : « C’est bien, tu as compris, tu prends ton destin en main. Le savoir se vole, tu n’attends pas qu’on te l’apporte sur un plateau. » Aujourd’hui… Est-ce que tout ça a un sens ? Je ne sais pas. Je ne me rends pas compte. Le monde aujourd’hui est différent, comme l’âge adulte est différent de l’adolescence qui est différent de l’enfance. Cependant, je crois intimement que les principes restent vrai : il faut se construire. Cela se fait lentement et permet d’affronter le succès comme l’échec. Il faut grandir par à-coups, par sauts, par changements d’états. Tenir bon. Vouloir. Surtout vouloir. Même si on ne sait pas toujours quoi. Car cela, bizarrement, n’est pas important. Ce qui est important, c'est de vouloir. En relisant ce texte, je m’aperçois que je ne parle que de moi, pas des autres. Et pourtant, les autres n’existent que par mon regard comme je n’existe que par le regard des autres. La devise de l’état du Kentucky, où j’ai jadis fait un stage, est : « United we stand, On ne peut dire mieux.
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AVIS!
Voici des petites histoires, des contes et une histoire plus longue qui est pour moi un succès en ce sens que je n’arrivais pas à écrire autre chose que des courtes histoires. ArchivesCatégories
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