J’ai engagé un mammouth ! Vous ne connaissez pas cet animal ? Cela ne m’étonne pas. Ils se sont éteints il y a quinze mille ans environ. Enfin, on dit ça et puis un jour on trouvera un troupeau de mammouths nains en Sibérie ou un truc comme ça. Leur nom vient d’un dialecte qui s’apparente au hongrois et qui veut dire : « corne de terre », ce qui ne veut rien dire. Ça arrive souvent. Anyway ou quoiqu’il en soit, j’ai engagé un mammouth. Vous hésitez entre le comment et le pourquoi, je m’en doute. Je vais donc commencer par le comment. Après avoir pris cette décision, je me suis renseigné et j’ai appris qu’il y avait un bureau de recrutement à l’ancienne. J’y suis allé et j’ai vu un préposé, un monsieur gentil, bien propre, bien élevé qui m’a écouté avec attention. Il m’a répondu : « Ce n’est pas si simple. Vous savez qu’ils ont disparu il y a quinze mille ans environ. À moins qu’on ne découvre un troupeau de mammouths nains en Sibérie. » « Arrêtez, on a déjà dit ça, je lui ai dit. On ne va pas tout recommencer ! » Il s’est excusé, genre je ne savais pas pardonnez-moi, et a continué : « Étant éteints, les mammouths sont des espèces de fantômes un peu transparents. On les voit quand même. Pas totalement transparents donc. Vous avez remarqué ? On veut que les choses soient transparentes quand on veut les cacher. Ce qui est transparent ne se voit pas, non ? Bon…, ils ne sont pas opaques non plus. Un peu fantômes, quoi. Et ils vivent, si on peut dire, toujours en troupeau. On doit les appeler. Et là, en séduire un. Il faut qu’il vous plaise mais aussi que vous lui plaisiez. Nous allons commencer par les appeler. Pour cela, il faut une pomme. » Une pomme il prit, le monsieur gentil du bureau de recrutement. Une grosse. Et il commença à la frotter vigoureusement avec une espèce de chiffon de laine. De plus en plus vite, de plus en plus fort. La pomme commençait à fumer… « Je la fais cuire, dit-il. Le mammouth aime la pomme cuite. Mais cuite au chiffon de laine, pas au four. Je n’ai jamais su pourquoi. Peut-être des souvenirs d’enfance d’il y a quinze mille ans ou plus… » Lorsqu’il a jugé la pomme à point, il l’a attachée, par des courroies de cuir façon muselière, à une corde. Il a fait tourner la corde de plus en plus vite autour de sa tête et il a vu mon étonnement. « Le mammouth est sensible au rhombe dit-il. Autrefois, c’est ainsi qu’on l’appelait. Au son du rhombe. Mais celui-ci est un rhombe olfactif. Il est efficace à courte portée. » Et effectivement, son bureau se remplit de mammouths. Heureusement, étant fantomatiques, ils ne prirent pas beaucoup de place. Il me dit de choisir mais vite – ils n’aiment pas trop rester immobiles. Je regardai. Il y en avait un avec l’air sympa. Je lui ai parlé, du genre : « Bonjour, comment vas-tu, est-ce que tu veux entrer à mon service », des choses comme ça. Je crois qu’il m’a trouvé marrant et il m’a fait comprendre qu’il était d’accord. Donc j’ai dit au préposé que j’avais trouvé mammouth à mon pied et que ça avait l’air de coller. « Bon, il a dit, maintenant faut faire la paperasse. » Là, j’étais étonné. Mais j’aurais dû m’en douter. De nos jours, il faut de la paperasse pour tout, même pour engager un mammouth. Je me suis dit : Il va me demander si c’est pour un CDI ou un CDD ou quoi… Mais non. C’était simple. Il a dit : « Vous avez un contrat mutuel de travailler l’un et l’autre pour le bien de l’autre et de l’un. Vous serez gentils, vous ne ferez pas de bêtises, du moins volontairement, et, si c’est accidentel, vous vous excuserez. Enfin, vous vous conduirez en bons mammouths. Une seule chose : vous vous engagez à ne jamais avoir d’objet en ivoire chez vous, ni d’éléphant, ni de mammouth, ni de morse ni rien. Et rien en éléphant ou en mammouth, pas de porte-parapluie en patte d’éléphant, pas de bracelet en poil d’éléphant, Mettez-vous à la place l’un de l’autre. Et tout ira bien. » J’ai signé avec mon sang, pour montrer que c’était sérieux, le mammouth a rétréci sa patte pour qu’elle tienne sur la feuille du contrat et il a mis un grand coup, comme un cachet. Un grand coup de fantôme, c’est limité, mais il n'y avait pas besoin d'autre chose. J’ai demandé son nom au mammouth. Je ne pouvais pas l’appeler « Mammouth » tout le temps. « Walbert », il m’a répondu. Mais le W se prononce comme un V qui se prononce comme un B. Donc, « Balbert » cela donne. Un bon nom pour un fantôme de mammouth. Je lui ai donné le mien qui l’a bien fait rire et nous sommes rentrés à la maison pour que je lui explique mais hélas pas pour prendre un verre. Les fantômes de mammouth sont sobres comme des fantômes de chameau. Puis j’ai commencé à lui dire ce que j’attendais de lui, ce qui, tout doucement, nous amène au pourquoi. Voilà, j’ai peur des terreurs de la nuit. Qu’est-ce que c’est que ça ? me demanderez-vous. Si seulement je le savais… En tout cas, elles existent. La preuve, voici ce que dit Wikipédia qui ne se trompe (de mammouth) jamais, comme chacun sait : « Une terreur nocturne est une parasomnie consistant en un trouble paroxystique et spectaculaire du sommeil survenant en début de nuit et en phase de sommeil lent profond. Le sujet a ensuite une amnésie complète de l'épisode. La terreur nocturne se rapproche du somnambulisme. Cependant, elle est très différente du cauchemar qui survient plutôt en fin de nuit, en phase de sommeil paradoxal et dont le sujet garde le souvenir. » Vous pensez, si c’est une parasomnie, nous voilà bien ! En fait une description (c’est une description ?) comme celle-ci est plutôt rassurante. Ce qui est inquiétant, et même très inquiétant, c’est le roi Salomon. Lui si puissant ! Eh bien quand même : soixante des plus vaillants d’Israël, tous hommes aguerris au combat, chacun portant l’épée sur la hanche, pour le protéger des terreurs nocturnes ! Salomon ! C’est dans le Cantique des Cantiques et c’est pas une blague. Vous me direz, on ne sait toujours pas ce que sont ces terreurs nocturnes, parasomnies ou autres (mais pas cauchemars, il parait ! Sauf que ça, Salomon ne le savait peut-être pas.) Et, entre nous, je n’ai pas envie de savoir ce qu’elles sont. C’est pour cela que j’ai engagé mon brave mammouth. Lui, mes terreurs nocturnes, il s’en contrefiche. Donc, il va dormir sur le pas de ma porte, sur mon paillasson, avec sa pomme cuite au frottement et il va veiller sur mon sommeil. Et je vais dormir tranquillement. Comme un loir. En échange, je vais veiller sur le sien, de sommeil. Parce qu’on a beau être un mammouth et même un fantôme de mammouth, on a ses terreurs nocturnes. J’ai cru comprendre que les siennes sont plus précises, des histoires de fantômes de souris et même de pachyuromys à queue grasse. Elles ont survécu aux différentes fins du monde et, s’il y a des fantômes, il y a aussi des vivantes. Seulement pas chez moi, j’y veille. Et je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais quand il y a une espèce vivante, il n’y a pas son équivalent fantôme. Mon mammouth peut dormir tranquille en veillant sur moi. Je n’irai pas essayer de le réveiller, tout fantôme qu’il est. D’ailleurs, si je peux paraphraser le grand Jouvet (Pas Louis, l’acteur, mais Michel, le héros du sommeil), qui a jamais essayé de réveiller un mammouth endormi ?
1 Commentaire
Léo
7/8/2018 10:39:51 am
C'est un de mes contes préférés!
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AVIS!
Voici des petites histoires, des contes et une histoire plus longue qui est pour moi un succès en ce sens que je n’arrivais pas à écrire autre chose que des courtes histoires. ArchivesCatégories
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