Pour les tout petits… qui ont envie de faire des choses et qui ne veulent pas qu’on les emmerde7/3/2018 J’ai toujours voulu être peintre. Déjà, tout petit, je regardais avec envie, avec jalousie même, ceux qui arrivaient à dessiner quelque chose qui ait l’air de quelque chose.
Je me rappelle qu’au lycée, le professeur de dessin, voyant mes essais lamentables, avait été convaincu que je le faisais exprès. Une telle incompétence lui paraissait trop impossible pour ne pas provenir d’une volonté propre. S’il avait su ! En tout cas, je n’ai pas oublié son impuissance à comprendre mon désespoir ! Plus tard, j’ai admiré, toujours avec envie, ces journalistes de l’image qui remplissaient des carnets d’aquarelles, précises comme des photos intelligentes, qui faisaient respirer l’odeur des épices et entendre le claquement des voiles des sambuques et les cris des goélands… Il a fallu que j’arrive à mon âge avancé pour me dire que ce n’était plus possible, que je devais pouvoir y arriver. Nombre de choses qui, dans mon adolescence, n’étaient que rêveries de possible étaient avec l’âge devenues réalités. Pourquoi pas ? Il est vrai que tant d’autres qui me semblaient possibles se sont évanouies ! Donc, je me suis dit : il faut commencer modeste. Je ne vais pas acheter des toiles, des peintures, des livres, des cours, tout ce qui fait que lorsqu’on part en voyage on pense à tout emmener et qu’on se retrouve, comme dit Kipling, esclave de ses bagages. Il faut savoir être modeste et construire brique par brique le mur du désir accompli. J’ai acheté des feuilles de papier (80 g, blanc, pour imprimante, puisque c’est comme ça qu’on appelle aujourd’hui une machine à écrire, enfin du papier banal, comme on en trouve partout) et quelques crayons : crayons noirs, HB machin truc, pas trop sec, un peu gras, faut savoir ne pas être trop précis, et couleurs : un peu de tout, quand même ! Et j’ai demandé à mon imagination de me faire voir ce que j’allais mettre sur le papier. Je savais de mes discussions avec mes amis plus doués que moi, qu’il y avait deux sortes d’individus : ceux qui dessinent un préconçu, provenant, tel Minerve, tout armé de leur cerveau, et que ceux-là peuvent commencer leur ouvrage par n’importe quel bout, puisque la totalité était déjà prête à jaillir, et ceux qui se laissaient conduire par la main, le papier, l’idée, le hasard, tout ce qu’on veut et qui, le dessin terminé, le regardent et se disent : voyons, qu’ai-je voulu dire ? Rien d’original : la même chose existe en poésie, c’est bien connu et même dans tout type d’écriture. Ce qui est moins connu, c’est qu’en fait et comme toujours, les deux coexistent : la vie est une grande nuance et ceux qui croient que les couleurs ne se mélangent pas connaissent de bien étranges déconve- nues ! Si les architectes ne sont pas poètes, tout est à craindre ! Donc, ayant toujours été obligé par mon incompé- tence à laisser courir ma main sans que ma volonté y ait aucune part, j’ai voulu procéder autrement. Assis dans mon fauteuil, j’ai regardé le feu : les flammes dansent, elles dansent vraiment, et elles lèchent aussi vraiment les bûches. Et j’ai laissé le feu me parler son langage de feu et de fumée. Lorsque j’ai cru avoir compris, j’ai étendu le bras et j’ai pris une feuille, solidement fixée sur un carton par une pince ad hoc, un crayon noir et j’ai commencé à dessiner ce que j’avais vu. Et sur le papier est apparue lentement une maison, en lisière de forêt, sous le soleil levant, au bout d’un chemin mal entretenu, parsemé de hautes herbes. Je l’ai regardé, avec un peu de recul, et je me suis dit : « Ce n’est pas si mal que ça. Il y a de l’idée, je vais peut-être y arriver. » Et dans la joie et l’espoir réunis, j’ai posé la feuille, pris un dernier tout petit verre d’armagnac bien mérité, jeté un dernier coup d’œil au feu décidément non menaçant, et je suis allé me coucher. J’ai mis un peu de temps à m’endormir. Est-ce que j’avais rêvé cette maison ou est-ce que je la connaissais, l’avais-je aperçue le temps infinitésimal de la fenêtre du train ou… Mais dans ma pensée, elle était bien réelle. Et je suis sûr que c’est ce qui m’a permis de la dessiner sur ma feuille. Et c’est la question de cette réalité qui me trottait dans la tête et m’empêchait de m’endormir. D’où venait cette maison ? Et puis le sommeil est venu. Du moins, je le crois. Est-ce que j’ai rêvé, je n’en sais rien. Mais je me suis réveillé d’un coup, avec le sentiment d’une présence dans ma chambre. Il y avait quelqu’un ! Mais qui, où ? Il faisait un tout petit peu jour, une pénombre qui cache les ombres et leur donne des formes. Est-ce qu’il y a eu un bruit ? Une respiration ? Un souffle ? Mon cœur battait. Sans avoir véritablement peur, j’étais… (comment dire ?), intrigué, inquiet, un peu effrayé quand même ! D’un geste prudent, silencieux, que j’espère l’intrus ne remarquera pas, j’attrape mes lunettes et je les mets. Ouf, je suis enfin moi. Je scrute. Et là devant moi, assis droit, hiératique, comme dans les livres, les statues de Bastet, comme dans un rêve, sur le bout de mon lit, quasiment sur mes pieds : un chat ! Je ne rêvais pas, un chat qui me regardait, de ses yeux qui reflétaient un peu de lumière, de ses yeux d’or… Un chat ou un martien ? Et je me suis dit, c’est un rêve ! Non ce n’est pas un rêve. Mais ce n’est pas possible ! Qu’un chat soit rentré par la fenêtre (je dors la fenêtre ouverte), ça c’est toujours possible. Mais ce serait un chat marchant, ondoyant à la recherche d’une souris, ou un chat couché profitant de la chaleur de ma couette, mais ça ? Un chat comme s’il allait parler ? C’est un rêve, il faut que ce soit un rêve. Je me pince très doucement, silencieuse- ment, pour qu’il ne remarque rien. Aïe ! Ce n’est pas un rêve. Ce n’est pas rassurant. À moins que... Est-ce qu’on peut rêver qu’on se pince ? Et puis, est-ce si important de savoir si on rêve ou non ? Le chat attendait visiblement que je me décide, sans impatience, avec la tranquillité d’un chat qui a tout son temps. Il fallait faire quelque chose. Je me suis décidé et par politesse, je l’ai salué : « Miaouawww. » Il a souri. Pourtant, il est rare que les chats sourient. Et il a dit : - Je salue ton humble effort. Mais je crains que ton vocabulaire chat ne soit très limité. Parlons humain, et même français, nous allons gagner du temps et de la clarté. Je sais m’incliner devant le désir des chats : ils ont généralement raison. Je lui dis donc : - Bonjour, chat. Quel est ton nom ? Le chat dit avec une grâce féline : - C’est pas gagné ! Nous sommes restés muets tous les deux : je ne savais pas quoi dire et lui visiblement attendait. J’ai pris mon courage à deux mains et je lui ai posé la question de confiance : - Est-ce que je rêve ou es-tu un vrai chat ? Il a soupiré : - C’est vraiment pas gagné ! Crois-tu donc qu’il y a une différence ? Je suis là, toi aussi, nous nous voyons, nous nous parlons. Que veux-tu d’autre ? Que je t’apporte une souris pour ton petit déjeuner ou que je te griffe pour te montrer que je suis un chat ou que je ronronne stupidement ? Il n’y a vraiment pas de quoi ! J’étais troublé. Un chat qui parle, ce devait être un rêve… Ou j’étais devenu fou… ou alors les chats avaient fait des progrès remarquables et s’étaient enfin décidés à se rapprocher de nous. Dans un cas comme dans l’autre, il fallait y aller. J’ai plongé : - Chat, as-tu quelque chose à me demander ? Puis-je faire quelque chose pour toi ? Je suppose que tu n’es pas là pour simplement me rendre plus idiot que je ne suis et qu’il y a une raison ? Mais quand même, pour moi, pauvre humain, pour me faire plaisir, dis-moi qui tu es, et comment il se fait que nous nous parlions, ce qui est quand même inhabituel, s’il te plaît ? Le chat se lécha délicatement une patte et en soupirant avec élégance, dit : - Nous y voilà quand même ! Je vais t’expliquer. Je suis dans ta pensée, c’est pour cela que tu me parles et que je te réponds. Est-ce un rêve ? C’est une différenciation humaine. Pour nous, la pensée est la pensée, qu’elle soit éveillée ou dormante, consciente ou inconsciente, formulée ou informulée, déductive ou intuitive. C’est la pensée et cela est la seule chose qui compte. Evidemment, pour en faire quelque chose, il faudra peut-être que tu te rappelles tout ce que nous disons, mais même cela n’est pas un critère : on peut oublier ses pensées éveillées et se rappeler ses pensées endormies. Quelle différence ? Ensuite, qui suis-je ? Je suis le chat de la maison que tu as dessinée. Car tu crois que tu as dessiné une maison, au bord de la forêt, avec le soleil du petit matin, et un chemin qui y mène, mal entretenu et parsemé de hautes herbes… C’est bien une erreur humaine ! Tu as dessiné bien autre chose ! Tu as dessiné l’intérieur de la maison, avec ses meubles, le grand bahut normand et la cuisine avec des cuivres astiqués, et les rideaux aux fenêtres, et le fer à cheval à la porte de derrière, et le cellier sous la maison, où nichent les souris et le loir qui y dort et aussi le grenier avec les haricots qui sèchent… Et tu as dessiné le maître de séant, Albert le vigneron et sa femme Maryse et leurs trois enfants et moi aussi, tu m’as dessiné, devant le feu, attendant le soir, ses odeurs d’herbes et ses promesses d’aventures. Tu as dessiné l’herbe et les fourmis, les abeilles qui vont de fleur en fleur, et le lapin qui va se coucher au petit jour, dans son terrier que tu as aussi dessiné… Tu as dessiné la forêt, et le chevreuil et le chasseur, l’arbre et le bûcheron, l’oiseau et son nid, et les insectes qui se cachent sous les pierres et les libellules qui dansent dans le soleil. Tu as dessiné tout ça et permets-moi de te le dire, tu as dessiné comme un cochon ! Là, j’étais pas content. Et un peu intrigué quand même. - Chat, ai-je dit, je vais me lever, et fumer une cigarette. Je crois que j’en ai besoin. - S’il le faut !, dit-il ! J’ai marché un peu dans la chambre. - N’allume pas, je suis un animal nocturne, a-t-il encore dit ! - Chat, pourquoi me dis-tu ça ? D’abord, qu’en sais- tu, et puis pourquoi me le dis-tu ? Que veux-tu que je fasse ? - C’est simple : rien de ce que tu as dessiné ne tient sur ses pattes ! Tu as dessiné de l’inachevé, de l’à-peu- près ; si tu regardes, tu vois bien que ce n’est pas ça ! Et nous, dans ton dessin, nous avons peur de rester comme ça ! Tu es un démiurge de merde, un créateur à faire frémir ! Arrête de te prendre pour Dieu, tu n’en as pas les moyens ! Ouuuuuu, je commençais à trouver que ce chat il exagérait ! Il a bien compris que ça suffisait comme ça. J’étais tout ébouriffé. Je me suis recouché, pas content. Il m’a dit - Ne te fâche pas, je te dis ça pour toi, autant que tu saches que tu n’es pas très bon, que tu dessines des choses qui ne tiennent pas debout et que tes pauvres créatures s’en ressentent ! - Chat, ai-je dit, je ne t’ai pas mis dans ce dessin. Je n’y ai mis aucune des choses que ton imagination malade ou la mienne d’ailleurs, y voit. J’ai crayonné une maisonnette et tu ne vas pas m’embêter ! - À ton aise. Il avait l’air nettement moins hiératique ! - Je te laisse à tes pensées. Réfléchis bien ! Et je me suis endormi ou rendormi ou j’ai cessé de rêver ou je ne me souviens pas. Je me suis réveillé, le soleil dans la chambre. Il faisait beau. Je me suis assis dans mon lit et le souvenir de la nuit est revenu d’un coup. Je me suis levé et je suis allé chercher mon dessin. Je me suis recouché, j’ai posé mon dessin sur mes genoux et je l’ai regardé d’un œil critique. Bon, la maison n’est pas droite. Il y a un problème de perspective et le chemin fait bizarre. Quant au soleil levant, il est un peu japonais. Mais après tout, c’est un début ! Et ce chat, je ne suis pas allé le chercher ! Est-ce de ma faute si mes rêves ont plus d’imagination que moi ? Qu’il aille au diable !
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Préface
Gentil lecteur, mon ami, mon frère, gentille lectrice, mon amie, ma sœur, ce livre, m’ont dit les éditeurs, n’est pas publiable. ArchivesTitres
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