Imaginez un long truc, un peu comme un tube, avec dessus un viseur qui permette de le diriger. Imaginez à l’autre extrémité une forme arrondie, douce mais ferme qui permette de l’appuyer sur l’épaule pour qu’il soit bien stable et ne tremble pas. Imaginez un système de déclenchement que l’on met en action en appuyant ou en tirant dessus. Imaginez que dessus ou dedans il y ait un mécanisme et que ce mécanisme permette de capturer ce que l’on a visé. Ouf, vous respirez, ce n’est pas un fusil. Mais est-ce un appareil photo ? Non, car ce qui a été capturé, est-ce une image ou est-ce la nature même de ce qui a été visé ? Sujet de réflexion. Pendant ce temps, imaginez une inversion du mécanisme qui permette de projeter ce qui a été capturé sur un support convenablement préparé. Est-ce que ce sera une photo, développée et imprimée sur papier ou un tableau sur toile ? Si c’est une photo, ce sera une image. Elle peut être prise sous un angle inattendu et révélateur, elle peut être réaliste ou créative, artistique ou industrielle. Au choix de celui qui l’a prise, corroboré par celui qui la regarde. Si c’est un tableau, il faut qu’il soit artistique, autrement cela n’est pas un tableau. Ou alors un tableau de chiffres, hors sujet. Mais un tableau automatique, pris par une machine ? Mais l’œil qui regarde, celui qui intervient, celui qui fait qu’il n’y en a pas deux pareils ? Attention, l’unicité est-elle un critère ? Et les lithographies, alors ? Alors, justement, c’est un peu moins de l’art, ou du moins, ça vaut moins cher ! Ah bon. Oui, mais, justement, la lithographie dit son nom et le numéro du tirage. Les bronzes aussi. Et on peut casser le moule. Mais, est apparu un nouveau « produit ». Il s’agit d’une photo, prise avec un appareil numérique, relié à un ordinateur. Cela veut dire que le mécanisme qui est à l’intérieur de l’appareil photo va analyser sous la forme de points minuscules qui pourront être imprimés sur le support et rendre ainsi l’impression de l’image, les pixels. Plus le nombre de points sera grand, plus l’image sera précise et nette. Moins il y en aura et plus elle sera floue. Si on passe par-dessus un vernis, avec quelques retouches ad hoc, l’impression de la « peinture » sera quasi totale. Il faudra regarder avec un fort grossisse- ment pour retrouver ces petits points. L’affaire est claire ? La vision est prise (prison- nière ?) par une machine guidée par la main de l’homme, certes, et reproduite par un moyen mécanique qui ne dit pas son nom, mais veut faire croire à une autre technique, celle-là traditionnelle et sans machine. Avec des outils, perfectionnés au cours des âges, mais sans machine. Quelle importance ? Est-ce qu’il s’agit d’une tromperie, soit sur la technique, soit sur la création ou… ou bien, d’une nouveauté qui sera banalisée comme le passage des couleurs naturelles aux couleurs chimiques ? C’est vrai qu’il y en a de plus en plus, et que cela se vend. Donc, cela plaît. N’est-ce pas la seule chose qui compte ? Pourtant, une chose me chagrine. C’est un problème philosophique qui devrait être sans importance, pourtant… Notre monde repose sur l’idée de continu. Continu comme le trait de crayon, comme le mouvement, comme la pensée, comme la parole, comme l’espace, comme le temps. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas, à l’intérieur de ce continu des changements de caractéristiques, de conditions, de passage d’une couleur à une autre, ou d’une matière à une autre, ou le bord de la toile. Mais cela reste du continu. Et le continu est l’ennemi du discontinu. Bien sûr, il y a eu les pointillistes. Mais c’était un jeu de lumière. L’art, au contraire, a cherché à faire disparaître les transitions, les limites entre le ciel et la mer, justement pour qu’on soit bien dans ce continu. Ce monde qui est devenu le domaine de l’analyse et pour qui la synthèse n’est qu’un résultat approché ne me rassure pas. Attention : c’est une vieille histoire ! Le tissu, et donc la toile du peintre, est le mariage du continu et du discontinu : les fils sont continus, leur entrecroisement qui fait la toile est discontinu. La toile du peintre est ainsi faite de fils entrecroisés mais la préparation les recouvre pour essayer de le cacher ou d’en tirer profit. Pourquoi est-ce que la technique de la reproduction par ordinateur me gêne ?
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Préface
Gentil lecteur, mon ami, mon frère, gentille lectrice, mon amie, ma sœur, ce livre, m’ont dit les éditeurs, n’est pas publiable. ArchivesTitres
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