Les rapports entre l’art et l’argent sont vieux comme mes robes ! Ou plutôt les problèmes que posent ces rapports, parce que tout pourrait être simple : il y a un double jeu entre d’un côté l’aspect bassement matériel du prix de revient et le jeu de l’offre et de la demande. Exactement comme pour une chemise ou pour un torchon.
Oui mais… C’est de l’Art… Déjà dans le cas de la chemise (ou du torchon), les choses ne sont pas si simples. D’abord, qu’est-ce que c’est que le prix de revient ? Il y a les éléments facilement connus : le prix de la toile, des peintures, des fournitures en général. Déjà moins simple, il y a le prix de la façon : surtout le temps passé et quelle est la valeur du temps ? Et pas de n’importe quel temps, le mien ! Et quel temps passé ? Il y a celui de la réalisation proprement dite, mais il y a aussi celui de la conception… Et il y a l’amortissement du matériel : le tour du potier et son four par exemple ou la machine à coudre. Et les frais généraux : le local, le téléphone, le démarchage du client, le coût de la facturation, le suivi du règlement ; la comptabilité qu’il faut bien tenir ; les charges sociales et les impôts ; tout cela n’est pas gratuit, mais comment en affecter une partie à une chemise ? Et les années d’études et de vache enragée, c’est pour du beurre ? Et la vieillesse à prévoir, la retraite qu’il faudra bien prendre un jour. Et si je ne suis pas seul mais que j’ai un aide… Autrefois, c’était lui qui me payait pour apprendre, mais il y a bien longtemps que cela a rejoint le petit poucet et l’ogre au panthéon des histoires pour enfants sages. De mon temps… ! Aujourd’hui, je dois le payer et les charges sociales et le reste et comment dire combien cela fait par torchon ? Et la compagne de l’homme de l’art, combien elle touche pour faire le fricot et le frichti, sans barguigner et en plus en faisant souvent bouillir la marmite ? La satisfaction de savoir qu’elle permet à un génie de s’exprimer ? Mais c’est qu’il n’est pas toujours drôle, l’incompris ! Alors l’offre et la demande ? Pour la chemise, c’est simple ! À Hong Kong ou à Maurice, au Maroc ou où vous voulez, elle coûte 0,34 euros. Je veux bien que les e…bêtements de l’importation vaillent dix pour cent de plus, je peux vous la payer tant et pas un sous de plus. Oui, mais ma chemise est sur mesure, en or massif, nickelée et brevetée sur tranche ! Alors je comprends son prix, mais je n’en prendrai qu’une pour l’exposer dans mon boudoir et montrer comme je m’y connais. Mais si je veux la revendre, est-ce qu’il y a un marché ? Oui bien sûr, regardez dans la cote des chemises, le Mayer et vous verrez : Anselm Glück Ohne Titel Mine de plomb et crayon de couleur 48 x 64 à Vienne en 1993 en vente aux enchères a fait 1 900 francs français. Et l’Art là-dedans ? Il est incompris ! Et autrefois, était-ce pareil ? Oui et non. Les clients n’étaient pas les mêmes. Les clients étaient gens d’église ou nobles à château qu’il fallait décorer de choses à leur gloire et éducatives de préférence. Pas question que l’artiste leur fasse trois têtes et dise gentiment : « C’est comme ça que je vous vois ! ». Et il fallait des sous pour acheter les couleurs et du temps pour les faire et le client était roi. Et souverain. Et personne à qui se plaindre, le duc de Bourbon c’était lui ! L’étrangeté de la chose a été l’apparition du bourgeois, cet être étrange haï et courtisé, méprisé et adoré… Car c’est lui qui a commencé à apprécier l’art pour l’art et à vouloir le revendre puisque libéré du carcan de chanter la gloire, l’histoire et la morale, l’art est devenu transmissible… Plus de sujet imposé, enfin libre de dire c’est ma vision du monde, je la revendique, elle contient une parcelle de divin et d’éternité et à ce titre, elle se suffit à elle-même et si cela ne vous convient pas, je vous e…bête ! Et donc, son prix est ce que je pense que cela vaut et si vous n’êtes pas d’accord, c’est que vous n’y connaissez rien et je préfère ne pas vous vendre ! Et la femme de l’artiste de soupirer, tout en lui disant : « Mon grand tu as raison, ta place est dans les musées, ils verront plus tard ! » Et alors ? Alors, si vous avez des relations… de la chance… de l’habileté…si vous savez faire monter les prix en ventes publiques (comme les filles du même nom avec tout le respect que je leur dois)… si votre compagne est jolie, si vous avez ce qui s’appelle de l’entregent (et non de l’entrejambe)… à ce moment-là, ce que vous faites est relativement peu important à condition que ce soit original bien sûr et très différent et vous êtes parti pour la gloire ! Donc, si vous avez en vous la nécessité de produire, de créer, de sortir de vous ce petit quelque chose si important parce qu’il nous fait communier avec l’Univers, soyez votre propre mécène comme un ami me l’a formulé un jour. C’est-à-dire, ayez un autre métier, un vrai métier qui vous fasse vivre et manger et boire et dormir et qui vous laisse la disponibilité d’accomplir votre mission créatrice. Mais si vous êtes un sage, ce que vous êtes sûrement, le métier que vous choisirez pour vous faire vivre n’aura pas de rapport avec votre activité créatrice : que votre métier vous intéresse, que vous le fassiez bien, c’est une évidence si vous ne voulez pas vous y perdre ! Pourquoi ? Si vous réfléchissez, vous verrez qu’il ne doit y avoir ni interférence ni concurrence. Et il n’y a pas que dans ce domaine ! Et ne comptez pas vivre de l’Art : ce serait un miracle. Mais cela s’est vu ! Courage !
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Préface
Gentil lecteur, mon ami, mon frère, gentille lectrice, mon amie, ma sœur, ce livre, m’ont dit les éditeurs, n’est pas publiable. ArchivesTitres
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