Le petit bois se trouve au sommet de la colline, comme un chapeau sur un crâne. La colline est ronde, le petit bois aussi. Il descend jusqu’à mi-pente et monte jusqu’au sommet. C’est un bois d’arbres. De races variées, ils ont poussé comme bon leur semblait, et bien poussé. Il y a des buissons, des arbustes, des jeunots, mais surtout des arbres.
Comme tout ça est rond, l’orientation ne se pose pas : c’est du vertical, vers le zénith, vers le soleil quand il veut bien être en haut. Sinon, on l’attend. Il finit bien par arriver. La lune aussi, le principe est le même. Et sous un grand chêne, un vieux de la vieille, tout en haut, le dernier cheveu sur la tête, le pompon sur le chapeau, il y a un terrier. C’est un vrai terrier, un terrier d’avant-guerre, enfin, d’avant l’invention des arquebuses chasseuses, un terrier du temps des arbalètes et des gourdins, de l’époque où on moissonnait à la faucille, dans les champs là en-bas. Un terrier, qui fait des kilomètres et des bonds, des tours et des retours et qui a bien des entrées et des sorties. Mais la vraie est sous le grand chêne. Seuls quelques très vieux lapins en connaissent le dédale et encore… C’est ce qu’ils disent ! Mais comme ils n’ont plus la force de le parcourir, pas moyen de les prendre au mot ! Et puis il y a eu des éboulements, des racines qui ont poussé. Une chose est sûre, pour un terrier, c’est un terrier ! Et ce ne sont pas les mouettes qui risquent d’y aller voir ! Quoiqu’elles soient de plus en plus rieuses, les mouettes… Par contre, ce qui reste et il n’est pas question de l’oublier, c’est la légende du terrier, la raison de son nom parmi les lapins. C’est une histoire que les vieux aiment à raconter aux jeunots, devant un bon verre de rosée, dans la grande salle, bien au fond, là où la température est constante (air conditionné, ils appellent ça maintenant). Et cette légende, la voici. Mais faut dire que si je la raconte, ce n’est pas pour trahir le secret, c’est parce qu’il suffirait que les monstres à deux pattes qui marchent debout, on n’a pas idée, se mettent à macadamiser la colline pour faire une piste d’atterrissage à hélicoptère afin d’en faire disparaître le souvenir. Et je crois que ce serait dommage. Donc, il faut savoir que ce terrier innocent en apparence, terrier de lapin de garenne, refuge et taverne de nos vieux bataillons comme dit le poète, a un nom. Il s’appelle la Prisonnière Turque ! Il y a très longtemps, encore plus longtemps que ça, si loin en arrière que le temps même n’existait pas, un groupe à deux pattes campa dans le bois. Ils venaient d’ailleurs et sans doute y retournaient. Le monde est vaste et il faut être bizarre pour vouloir en connaître les limites, si limites il y a. Ils coupèrent des arbres, et firent un grand feu à fumée. Pendant longtemps on montra l’emplacement, comme le rond d’une meule de charbonnier. Et puis ce qui devait pousser a poussé. Ils étaient nombreux, dit l’histoire, au moins quelques-uns. Et avec eux, des copains, certains gentils, d’autres non. Des chevaux, des chiens, qui flairaient dans les taillis, dans les buissons et qui, bien nourris, venaient nous faire la conversation. Les anciens de l’époque s’en méfiaient. Même bien nourri, l’instinct, c’est l’instinct. Et un bon toutou peut vite devenir un sale clébard. Mais ceux-là en plus étaient dressés et ne devaient pas s’éloigner sans ordre. Des chiens, quoi ! Et les lapins de l’époque bavardèrent avec eux et apprirent que les hommes, il faut bien les appeler par leur nom étaient des Turcs, une espèce genre garenne ou lévrier et qu’ils voyageaient avec un cadeau de leur chef de clan, parce qu’ils chassent en meute, ceux-là, pour un autre chef d’un autre clan, ailleurs dans le vaste monde, pour des raisons qui furent expliquées et qui furent oubliées car elles ne méritaient pas qu’on s’en souvienne. Et ce cadeau, on y vient, c’était une cousine à nous, une lapine à long poil, de la race des angoras qui font l’admiration des amateurs de Vénus à fourrure, comme ils disent dans les terriers terrestres à murs, toits et portes que les humains habitent. Et c’est vrai qu’elle était belle, dans une boîte à barreaux, sur un lit de paille et d’herbe, entourée de carottes et de navets. De longs poils soyeux gris et bruns et un regard d’amadou, la douceur du feu ! La terreur des ménagères ! Et les anciens conçurent le projet de la faire évader. Mais comment faire ! D’abord, un conciliabule, conseil de guerre secret. Il y avait bien longtemps qu’il n’y en avait pas eu et il n’y en eut plus après. Le rituel s’en est perdu. Mais on peut penser qu’il fallait élire un chef, pas de projet sans chef, et puis chanter ensemble, pas de groupe sans chant, pas d’unisson sans son ! Faut dire que le chant n’est pas notre force, à nous les garennes. Mais nos papattes sont là pour un coup et tambouriner nous savons ! Qui n’a pas entendu le bruit sourd de nos papattes dans la nuit noire, tonnerre rampant qui gronde et qui grandit, qui rassure et terrifie, ne peut rien comprendre à rien. Les chiens et les chevaux ont vu que c’était du sérieux, qu’il ne fallait ni plaisanter ni prendre de risque avec les lapins. Ils ont délégué deux parlementaires, un Alezan et un Afghan. Ils comprirent tout de suite et furent plutôt pour. Ce n’était pas vraiment leur affaire et ils comprenaient très bien la position des ancêtres. À leur place, eux aussi ils auraient tambouriné. Les hommes croyaient à l’orage et mettaient leurs houppelandes et remettaient du bois dans le feu. Au signe de l’Afghan, les chiens hurlèrent à la lune qui se montrait enfin. Les loups répondirent. Les hommes se serrèrent près du feu. Affaire de lapin disaient les chiens, ne pas s’en mêler. Houuuuuuuuuu. Les hiboux approuvaient. Les hommes se serrèrent près du feu. L’Alezan s’approcha de la cage et d’un sabot délicat la brisa. La copine était partie ! Les hommes n’y virent que du feu. Au pied du chêne qui n’était qu’un enfant à l’époque il y avait ce qui n’était encore qu’un petit terrier ! L’Angora s’y réfugia, les tambours s’estompèrent lentement, il est sage que la victoire soit discrète. Au matin, les hommes partirent. Ce qu’ils devinrent n’est pas de notre domaine. Mais la demeure de la prisonnière turque devint au cours des ans le terrier des terriers : tous les lapins voulaient lui rendre hommage et les lapines n’appréciaient pas… La jalousie est lapine, c’est lapin ! Il fallait tout le temps ajouter des chambres, des sorties… Et le temps passa, de nombreux petits lapins avaient des poils doux et fins. Et le temps passa. Le terrier devint un lieu de rencontre, entre copains, pour se rappeler l’histoire, la belle légende que les anciens aiment à raconter devant une coquille de rosée, le temps des fiers lapins qui délivrèrent la prisonnière turque avec l’aide de l’Alezan et de l’Afghan… la belle Angora, au regard de feu, aux poils si doux et si soyeux, la Vénus à fourrure… Et le nom de la Prisonnière Turque resta au terrier, et c’est ainsi !
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Gentil lecteur, mon ami, mon frère, gentille lectrice, mon amie, ma sœur, ce livre, m’ont dit les éditeurs, n’est pas publiable. ArchivesTitres
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