La nuit était tombée. Nous n’avions pas allumé. Seul le feu dans la cheminée nous éclairait. La flamme dansait et les ombres suivaient son rythme. La paix et la tranquillité lentement nous pénétraient, comme une osmose. Nous étions bien, tous les quatre auprès de la cheminée.
Une table basse devant le feu gardait au chaud le vin qui réchauffe le cœur mais que je n’aime pas et le jambon fumé, jambon de pays, de grande qualité. L’un de nous, le moment venu, coupait une tranche et la jetait à la ronde, puis une autre, et la douceur de la nuit favorisa la pensée... Il y avait Jacques le silencieux, fumeur de pipe dont le tabac chatouille les naseaux, assis tout en bordure de la cheminée. Sa chemise encore humide de la neige du dehors, fumait lentement. La parole rare, mais la pensée féconde, il jouait avec les flammes au risque de se brûler. Il y avait Pierre, grand et joueur. Une brindille à la main, il taquinait le feu qui acceptait le jeu et lançait des étincelles de joie. La cheminée était grande, à se coucher dedans et les bûches de bon bois odorant. Et il y avait Maryse, grande fille, la seule du groupe, avec un chandail de laine mouillée, sentant la laine mouillée, une odeur bien reconnaissable. C’est elle qui bien souvent prenait le grand couteau pour couper avec effort une tranche de ce bon jambon. Serviable, par pure gentillesse. Et puis elle sait bien qu’elle peut tout demander, c’est bien pour cela qu’elle ne le fait pas. Et le vin si doux lui plaît bien. Elle est douce et tranquille et sa main caressante. C’est une soirée qui devrait durer toujours, immobile dans le temps, un de ces moments dont on rêve et qui sont si rares et qui ne se reproduisent guère : quand on les a connus, quand on a eu ce bonheur, la vie change, plus rien n’est pareil. C’est le moment de refaire le monde, dans la fumée du tabac, dans la chaleur du vin, dans l’odeur du feu, dans le plaisir d’être ensemble et de croire pour un instant qu’on se comprend... Et moi, couché de tout mon long devant la chemi- née, j’attrape le jambon, je regarde le feu de mes yeux d’or, je profite du calme qui règne après la fatigue d’une journée de jeux. Je m’endormirais lentement. Mais c’est le moment de refaire le monde... Pierre dit en regardant les flammes :
Maryse qui sent que l’atmosphère devient tendue me tend une tranche de jambon que je prends entre mes deux pattes pour la déchirer lentement. Parce que je ne vous ai pas dit, mais je suis un bon gros chien avec de longs poils dans lesquels la glace se prend vite. Je la mange, j’aime les glaçons, ça croque sous les dents. Je m’appelle Waouf, pas un Waouuuuuf long qui ne me ressemble pas, mais Waouf bref. Et j’ai mes idées et je les exprime. Dans notre compagnie de vieux copains, je tiens mon rang et ils savent que je suis un bon marcheur et qu’on peut compter sur moi dans le besoin. Je les ai tirés d’affaire plus d’une fois, quand ils étaient perdus et qu’ils croyaient que les loups hurlaient dans la forêt. Mais il faut dire aussi que plus d’une fois, ils m’ont porté quand j’avais attrapé une sale épine, et aussi une fois où un renard m’avait mordu par surprise, sale bête, et pourtant il y avait le risque de rage. Tous les quatre, nous nous aimons. Il n’y a rien d’autre à dire. C’est une bonne compagnie. Mais il était l’heure de refaire le monde...
Je grogne :
Je grogne :
Et je change de côté. Sinon, je rôtis ! Là, il y a un silence respectueux ! Les idées se promènent dans les flammes, il faut un coup de vin. Mais la bouteille est vide... Heureusement, il y en a une autre près de la cheminée qui chauffe tout doucement. C’est un vieux vin jaune. L’idée de le boire frais est abominable, même si je n’aime pas ça. Mais l’odeur, quand même, c’est quelque chose.
Jacques avait réfléchi sans trop parler. Ses pensées commençaient à s’organiser. Faut dire que le jambon, le vin jaune et le feu, c’est propice à la réflexion.
On a essayé de se rappeler. Moi, je savais pas trop, faut pas charrier. Et puis, j’aurais su, j’aurais pas pu communiquer, j’ai des limites quand même. Et puis je m’endormais lentement. Mais ils ont mis en commun leurs souvenirs des livres de conte : Gaïa, c’est un mythe grec. C’est la mère de tout : c’est la première créature (créature ? J’ai bien entendu créature ! Ils sont fous ces hommes ! Ramènent tout à eux !) à naître du Chaos en même temps que le Tartare le Monde Souterrain, Nyx la nuit, l’Erèbe les Ténèbres et Eros l’amour. On n’est pas très avancé, mais si quand même, elle est liée au feu souterrain, aux volcans, à cause de sa lutte pour ou contre les Titans ?
Et si c’était un œuf ? On a le germe à l’intérieur et la coquille autour ? Mais, pas un œuf de poule ! Un œuf de quoi ? Et puis comment justifier sa place dans l’Univers ? Parce que nous ne pensons qu’à nous, mais la terre n’est pas seule ! Il y a la lune et les étoiles et le soleil et tout ça. Il faut une explication qui tienne compte de l’ensemble…
Ça, je n’aime pas du tout. Ça pique le nez, rien à en tirer. Et quand ils en boivent, ils sentent mauvais. Mais ça les aide à arriver là où ils ne savent pas qu’ils peuvent arriver !
Jacques, son verre dans la main, réchauffant lentement la mirabelle, dit soudain :
Et, je ne sais pas pour eux, mais moi, j’ai rêvé… J’ai rêvé du dragon universel qui venait voir son œuf près d’éclore et qui trouvait une flopée de parasites dessus et qui nettoyait tout ça en soufflant dessus un grand coup. Vous imaginez ça, si nous sommes vraiment sur un œuf de dragon…
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Préface
Gentil lecteur, mon ami, mon frère, gentille lectrice, mon amie, ma sœur, ce livre, m’ont dit les éditeurs, n’est pas publiable. ArchivesTitres
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